NUCLÉAIRE (ARMEMENT) - Problèmes politiques

NUCLÉAIRE (ARMEMENT) - Problèmes politiques
NUCLÉAIRE (ARMEMENT) - Problèmes politiques

Après les explosions nucléaires qui ont frappé Hiroshima puis Nagasaki, le monde est entré dans l’ère nucléaire et cet événement arrive dans la terreur. Terreur des rares rescapés dans l’angoisse d’une mort différée. Terreur de l’empire nippon qui capitule sans condition. Terreur des autres nations devant cette arme qui, en un instant, est capable de rayer une ville de la carte.

L’avènement de la poudre puis celui de la mitrailleuse avaient modifié les conditions du combat. Avec l’apparition de l’avion, la bataille prenait des dimensions nouvelles. L’utilisation de l’atome à des fins militaires bouleverse la stratégie, tant par la formidable puissance de feu instantanément disponible que par la difficulté de s’en servir du fait de la démesure de ses effets. La menace relaye l’emploi. La finalité de la stratégie n’est plus d’engager judicieusement les moyens pour gagner la guerre, mais de dissuader l’adversaire de l’entreprendre. Alors que les armes construites jusqu’alors étaient fabriquées pour s’en servir, les armes nucléaires seront faites pour intimider, et leur emploi serait la marque de l’échec de leur finalité. Mais l’intimidation n’existe que si toutes les conditions de l’emploi sont réunies.

Le développement des armes nucléaires, les négociations les concernant, qu’il s’agisse de limitations quantitatives ou qualitatives, tout s’inscrit désormais dans la logique de la dissuasion.

La terreur peut-elle alors faire place à l’espoir, et le monde est-il enfin devenu pacifique grâce à l’existence de ces armes si puissantes qu’elles interdisent la guerre? Il est loin, malheureusement, d’en être ainsi. L’existence des arsenaux nucléaires a certes empêché un affrontement majeur entre l’Est et l’Ouest alors que bien des raisons de conflit étaient réunies. Mais les luttes n’ont pas manqué entre nations non nucléaires. D’autres ont opposé puissances nucléaires et non nucléaires sans que le seuil nucléaire, il est vrai, ait jamais été franchi (les Américains au Vietnam, les Soviétiques en Afghanistan, les Britanniques aux Malouines...). Avec le temps, l’idée même d’emploi pour de tels conflits disparaît. Voilà qui montre bien que l’arme nucléaire n’est pas une arme comme les autres: elle représente une arme de dissuasion contre une agression majeure et non pas une arme dans un conflit limité. L’armement nucléaire est garant de la sécurité mais il ne l’assure pas complètement, il doit être prolongé par des forces conventionnelles; une défense efficace exige la complémentarité entre ces moyens de nature différente.

Il n’en reste pas moins qu’une nation disposant d’un armement nucléaire peut mieux résister à des pressions ou à des intimidations que celles qui n’en disposent pas, et doivent donc rechercher la protection d’autrui. Or la certitude d’une telle protection nucléaire n’est jamais totalement assurée. C’est pourquoi la détention d’un armement nucléaire quantitativement et surtout qualitativement suffisant constitue, depuis Hiroshima, un gage de sécurité et un des attributs de la puissance.

1. Prolifération nucléaire

On appelle prolifération nucléaire l’accroissement du nombre d’États disposant d’un armement nucléaire indépendant (prolifération horizontale) ainsi que l’accumulation excessive de stocks d’armes nucléaires par certaines puissances (prolifération verticale).

Après les États-Unis d’Amérique en 1945, l’Union soviétique accédait, à partir de 1949, à une capacité nucléaire militaire. Cependant, l’ensemble des données nucléaires allait être maintenu secret par les deux grands jusqu’en 1955.

Au cours des vingt années suivantes, les connaissances ont été progressivement dévoilées et échangées, d’abord dans le cadre des conférences de Genève sur la technologie des réacteurs (suivant la proposition Atoms for Peace du président Eisenhower), ensuite lors de réunions, à Vienne, sur l’utilisation des explosifs nucléaires à des fins civiles (programme américain Plowshare et programme soviétique similaire). De façon intermédiaire, l’Organisation des Nations unies avait créé, en 1957, l’Agence internationale de l’énergie atomique (A.I.E.A.) chargée de promouvoir les utilisations pacifiques de cette nouvelle énergie et de surveiller les risques de détournement de ces technologies à des fins militaires.

Pendant cette époque, quatre nations allaient procéder à des essais nucléaires: le Royaume-Uni dès 1952, la France à partir de 1960, la Chine à partir de 1964, l’Inde en 1974, apportant ainsi la preuve de leur maîtrise des techniques. Depuis lors, les trois premières se sont pourvues d’un armement nucléaire. L’Inde a pour sa part déclaré que le tir qu’elle avait effectué avait des fins uniquement pacifiques, ne remettant en cause aucun de ses engagements antérieurs.

En 1994, cinq États font officiellement partie du «club» des puissances nucléaires militaires. Cependant, il est très probable, sinon prouvé, que d’autres pays détiennent des armes sans avoir fait d’essais détectés.

C’est donc très rapidement que les craintes de prolifération, exprimées dès l’origine, se sont trouvées confirmées. L’effort pour concevoir et construire des armes n’étant plus aussi colossal qu’il l’avait été pour les pionniers, la tentation devenait grande pour des États aspirant à une plus grande puissance militaire. Aux yeux des supergrands, le jeu des menaces se compliquait dangereusement et les risques d’un embrasement général incontrôlable ne pouvaient être exclus.

L’inquiétude internationale face aux risques croissants de dissémination s’est traduite, au cours de la même période, par diverses propositions de limitation dans le cadre de l’O.N.U. C’est ainsi que sont nées, à l’initiative des États-Unis et de l’U.R.S.S., les négociations d’un traité de non-prolifération (T.N.P.), entré en vigueur en 1970. Il s’agit d’un engagement des puissances nucléaires de ne pas transmettre leurs connaissances militaires aux États ne possédant pas d’armement nucléaire et, pour ceux-ci, d’une renonciation à s’en doter. De plus, les États parties au traité s’engagent à faciliter un échange, aussi large que possible, d’équipements, de matières et de renseignements scientifiques et technologiques en vue des applications de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Le respect des engagements pris par les États, bilatéralement ou au titre du T.N.P., est contrôlé par l’A.I.E.A. Au début de 1994, près de cent cinquante pays étaient signataires du T.N.P. (tabl. 1). De leur côté, les nations d’Amérique latine s’étaient réunies à Tlatelolco en 1967 pour bannir les armes nucléaires de leur zone géographique, mais l’accord de ratification n’a pas été général.

Le T.N.P. est, pour les nations «non nucléaires militaires», une renonciation de souveraineté presque sans précédent, malgré la contrepartie des facilités d’accès aux technologies nucléaires civiles. Aussi certains États importants n’y ont-ils pas adhéré. Il est possible à tout pays signataire de se retirer du T.N.P., avec un préavis de trois mois, s’il considère que ses intérêts suprêmes sont compromis (tabl. 1 et 2).

L’explosion nucléaire indienne de 1974 a mis en évidence certaines lacunes du dispositif international de non-prolifération et a provoqué une vague de mesures complémentaires. Plusieurs grands pays industrialisés, réunis à Londres, sont convenus d’appliquer des restrictions à la fourniture de matières, équipements et technologies nucléaires susceptibles d’utilisation militaire, tout en s’assurant que les matières transférées faisaient l’objet d’une protection physique suffisante dans le pays importateur. Ces mesures restrictives, qui sont contraires à l’article 4 du T.N.P., ont été mal accueillies par les nations en voie de développement qui les ont considérées, à juste titre, comme discriminatoires.

Parmi les mesures de contrôle, citons les conditions très restrictives d’exportation de certains réacteurs utilisant de l’uranium très enrichi, ou susceptibles de produire du plutonium, ainsi bien entendu que les matériels pour enrichir l’uranium ou retraiter les combustibles nucléaires et en extraire le plutonium.

La décision la plus marquante dans ce domaine a été prise par les États-Unis en 1977. Tout en renonçant à extraire le plutonium de leurs propres combustibles, ce qui était à leurs yeux une façon de donner l’exemple, ils ont remis en cause leurs accords avec plusieurs pays pour la fourniture de matières fissiles destinées à des centrales nucléaires.

Pour tenter de calmer les vives réactions suscitées par ces mesures unilatérales, le président Carter provoquait la réunion d’un groupe d’experts internationaux pour évaluer les cycles des combustibles nucléaires sous l’angle de la technique, de l’économie et des risques de prolifération (I.N.F.C.E.: International Nuclear Fuel Cycle Evaluation). Les travaux engendrèrent une réflexion approfondie sur les moyens techniques de lutte contre la prolifération ainsi que sur les aspects politiques de la question. Cependant, les conclusions ne furent guère favorables aux thèses américaines et n’entraînèrent aucune renonciation des pays engagés dans le retraitement.

Les protestations d’un nombre croissant d’États devant ce qu’ils considéraient comme un abus de monopole, les effets pervers (incitation à se doter de moyens nationaux) ont conduit la nouvelle administration américaine à se montrer moins coercitive à partir de 1981, sans pour autant que la législation soit assouplie.

La plupart des nations, grandes, moyennes et même petites, ont eu à s’interroger, à un moment donné, sur l’intérêt qu’elles pourraient trouver à se doter d’armes nucléaires. Certaines d’entre elles y ont renoncé par traité, explicitement ou implicitement. D’autres ont déclaré n’avoir pas l’intention de construire des armes. Certaines laissent planer un doute.

Face à des positions aussi diverses et «subjectives», car résultant de déclarations ou de non-déclarations des États eux-mêmes, divers observateurs ou organismes ont tenté d’établir des classifications plus «objectives», essayant de prendre en compte tous les aspects: politiques, diplomatiques, militaires, économiques, scientifiques, technologiques.

Parmi les incitations politico-diplomatiques ou militaires, on peut citer: la conviction, pour une nation, d’être menacée par des nations plus puissantes ou plus peuplées, un sentiment d’humiliation ou d’exclusion de la communauté internationale, le désir d’affirmer son indépendance, d’imposer sa domination, voire d’exercer une menace directe sur d’autres nations.

Le passage à la réalisation se révélera surtout par des signes d’ordre technologique. Le premier objectif de l’État candidat sera l’obtention, hors de tout contrôle, de matières fissiles concentrées. Tout geste allant dans ce sens attirera l’attention: choix de réacteur d’un type convenable, construction d’usines d’enrichissement ou de retraitement, importation de constituants sophistiqués pour ces usines, qui ne peuvent se justifier par un programme uniquement civil. D’une manière générale, les technologies de pointe comme l’électronique ultra-rapide et insensible aux rayonnements, la mécanique de précision, la chimie fine et la radiochimie (chimie des éléments radioactifs), la métallurgie avancée et bien d’autres branches spécialisées devraient donner lieu à des efforts spécifiques, difficiles à dissimuler. Un intérêt démesuré pour les recherches sur la fusion à l’aide de lasers ou de faisceaux de particules («fusion inertielle») peut aussi éveiller des soupçons. Récemment, la technologie des vecteurs, composante possible d’une force nucléaire, a été ajoutée dans les disciplines à surveiller; cela a conduit en 1987 à un accord entre sept nations (M.T.C.R.: Missile Technology Control Regime). À un stade plus avancé de réalisation, des indices de préparation d’un essai nucléaire pourraient être observés.

Sur la base des motivations qui leurs sont prêtées et des signes d’activité éventuellement décelés, divers observateurs ont classé les États en catégories. Dans un premier groupe, on trouve des États qui se sont activement intéressés à l’armement nucléaire: d’abord l’Inde, Israël et le Pakistan, qui auraient atteint ou dépassé le seuil de détention d’un arsenal, puis, notamment, la Corée du Nord, l’Irak, l’Iran, avec une ambition nucléaire importante, enfin, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, Taïwan, qui, après avoir manifesté un grand intérêt pour les armes, semblent abandonner cet objectif. Un deuxième groupe de pays auraient la capacité de se doter d’armes mais n’en manifestent pas l’intention, comme l’Allemagne, l’Australie, le Canada, le Japon, la Suède. Une troisième catégorie regroupe des États très disparates que l’armement nucléaire ne laisse pas indifférents pour des raisons diverses; ils se sont efforcés de garder l’option ouverte san aller au-delà. Évidemment, toute classification aussi schématique est contestable, elle varie selon les critères choisis et évolue avec le temps. Par exemple, si le critère est la seule capacité technique, on aboutit à un classement différent, exprimé en délais d’accession à l’arme.

Les découvertes faites en Irak en 1991, à la suite de l’application de la résolution 687 de l’O.N.U., ont montré qu’il était possible d’entreprendre, sans attirer l’attention, un programme nucléaire militaire, avec importation de technologies à double usage. L’A.I.E.A., dans ses inspections antérieures, n’était ni qualifiée ni mandatée pour rechercher ce type d’activités clandestines. Cette situation a déclenché une série de réflexions dans la communauté internationale, incitant à une plus grande vigilance, soulignant l’importance du recueil et de l’exploitation des renseignements, la nécessité de renforcer la concertation entre gouvernements et les systèmes de contrôle international, notamment sur les technologies à double usage.

En France, il existe, depuis 1976, un Conseil de politique nucléaire extérieure, présidé par le chef de l’État, qui définit les grandes orientations politiques au sujet des problèmes de prolifération. Ces orientations sont prises en compte par les instances chargées du contrôle des exportations sensibles au regard de la prolifération nucléaire.

Après cette esquisse résumant quelques aspects de la prolifération «horizontale», il faut mentionner la prolifération «verticale»: l’évolution quantitative des arsenaux des puissances nucléaires. L’article 6 du T.N.P. condamne la course aux armements nucléaires et propose que soit négocié un désarmement complet. Les négociations (S.T.A.R.T., I.N.F.) entre les deux supergrands puis la désintégration de l’U.R.S.S. vont probablement aboutir à une première réduction de moitié du nombre des charges stratégiques (passage d’environ 12 000 à 6 000 de part et d’autre) suivie sans doute d’une seconde réduction dans les mêmes proportions. Il en serait de même pour les armes tactiques et de portée intermédiaire. Il restera encore, dans les nouvelles Républiques, à éviter une fuite des spécialistes et des matériaux sensibles, pour qu’ils n’alimentent pas de nouvelles proliférations.

Une dernière proposition, renouvelée avec insistance par les nations non nucléaires, est l’interdiction des essais, comme étant la façon la plus efficace pour stopper les deux formes de prolifération. En 1992, on a constaté un début de mesures dans ce sens: la Russie a décidé un moratoire de ses essais, la France a suspendu son programme, les États-Unis ont pris peu après une décision analogue.

En conclusion, les risques de prolifération nucléaire sont une réalité largement reconnue. Les mesures de contrôle appliquées au commerce nucléaire et l’inspection acceptée des installations existantes contribuent à réduire ces risques. Mais les vraies solutions sont du ressort du domaine politique. Au-delà des ententes que pourront conclure entre elles les puissances nucléaires militaires, il leur faudra veiller à ne pas inquiéter les autres par un armement excessif ou une attitude trop négative ou dominatrice. Le maintien d’un équilibre précaire entre des tendances contradictoires exigera une attention particulière envers les nations défavorisées et leurs soucis essentiels de survie et de sécurité.

2. La puissance nucléaire

Initialement, l’explosif nucléaire est apparu comme relayant l’explosif chimique mais avec l’avantage de délivrer une immense puissance de feu en un temps extrêmement bref, et cela sous un très faible volume. Par analogie avec les explosifs traditionnels, la puissance des armes atomiques a été évaluée en équivalent de T.N.T. (trinitrotoluène). Par exemple, la bombe d’Hiroshima représenterait une puissance de 13 000 tonnes de T.N.T. Lors du passage de la fission à la fusion, permettant des puissances encore plus considérables, on parla de mégatonnes, soit l’équivalent de millions de tonnes de T.N.T., et la puissance nucléaire d’un pays fut ainsi évaluée en mégatonnes, tout comme sa force conventionnelle était comptée en nombre de chars et d’avions.

Mais disposer d’explosifs nucléaires n’est militairement utile que s’il existe des moyens de les acheminer sur leurs objectifs. L’évaluation de la puissance nucléaire prit donc en compte non seulement les charges avec leurs caractéristiques de puissance, mais aussi les moyens de livraison, les vecteurs, qu’il s’agisse d’aéronefs ou de missiles.

Désormais, l’évaluation de la puissance d’une nation intègre le nombre de lanceurs, le nombre de têtes par lanceur et l’allonge des trajectoires, sans négliger la probabilité de survie à une attaque.

Cette variété de critères qualitatifs autant que quantitatifs explique, pour une part, les difficultés rencontrées lors des conversations sur la limitation des armes nucléaires.

3. Les armes nucléaires

Les armes nucléaires peuvent être classées différemment selon le regard apporté, militaire ou politique.

Militairement, on distingue les armes anticités, qui ont pour objectifs les centres économiques de l’adversaire, et les armes antiforces, qui menacent son appareil militaire dans ses éléments de tête ou dans la profondeur de son dispositif. Les premières armes exigent de fortes puissances pour traiter de vastes cibles, mais celles-ci rendent la précision superflue. Cette puissance est obtenue pour un vecteur soit par tête unique, soit par têtes multiples, qui permettent de mieux couvrir les objectifs étendus et de saturer les défenses. Ces têtes multiples peuvent être indépendamment guidées ou non.

Par contre, les armes antiforces sont caractérisées par leur précision car elles doivent atteindre des cibles compactes, voire ponctuelles. Sur de telles armes, des puissances limitées ou, comme dans la «bombe à neutrons», des effets collatéraux limités sont recherchés pour permettre leur emploi à proximité de troupes ou de populations amies et respecter autant que possible l’environnement.

Militairement, les armes sont également classées en fonction du lieu de lancement: à partir de silos ou de véhicules terrestres, ce sont les «sol-sol», ainsi les S.S.B.S. (sol-sol-balistique-stratégiques); à partir de navires de surfaces ou sous-marins, ce sont les «mer-sol», ainsi les M.S.B.S. (mer-sol-balistique-stratégiques); à partir d’aéronefs, ce sont les «air-sol», ainsi les A.S.M.P. (air-sol-moyenne portée).

Politiquement, les armes nucléaires peuvent être répertoriées en trois catégories: les systèmes centraux, les euromissiles et les armes tactiques, chacune occasionnant des évaluations et des négociations distinctes.

Les systèmes centraux regroupent les armes d’une nation nucléaire pouvant atteindre le territoire adverse à partir de son sol national, ou par extension à partir des sous-marins. Pour les États-Unis et l’U.R.S.S., il s’agit des missiles intercontinentaux de portée supérieure à 5 000 km et des missiles de sous-marins. Pour la France, des portées moindres sont suffisantes, et cela concerne les S.S.B.S. du plateau d’Albion et les missiles des S.N.L.E., sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Les euromissiles sont les armes pouvant atteindre le territoire soviétique à partir du sol européen et, par symétrie, les armes soviétiques pouvant donc atteindre l’Europe mais non les États-Unis. La portée des euromissiles varie de 500 à 5 000 km. Les S.S.-20 soviétiques et les Pershing américains en sont des exemples. On peut remarquer qu’une arme soviétique de 2 000 km de portée est, par référence aux États-Unis, un euromissile, alors qu’il est possible de la considérer comme système central vis-à-vis des nations nucléaires européennes, la France ou la Grande-Bretagne. Les armes tactiques ont une portée inférieure à 500 km. Elles sont destinées à traiter les objectifs militaires de proximité. Elles comprennent des missiles (par exemple Lance américain, Pluton français, Frog soviétique), des avions armés de bombes ou de missiles air-sol, et des obus d’artillerie. Leur philosophie d’emploi varie d’une armée à l’autre: superartillerie chez les Soviétiques, premier échelon de la guerre nucléaire si les moyens conventionnels ne suffisent pas du côté de l’O.T.A.N., ultime avertissement avant la frappe stratégique chez les Français, celui-ci devant avoir une efficacité militaire.

Dans tous les cas, il s’agit d’armes de bataille mais dont l’engagement reste très strictement contrôlé par le pouvoir politique; elles se veulent dissuasives, et elles assurent le couplage entre la guerre conventionnelle et la riposte stratégique.

4. Évolution de la stratégie nucléaire

De 1945 à 1950, les États-Unis sont les seuls à disposer d’un armement nucléaire, et celui-ci leur permet d’équilibrer la force militaire soviétique qui, contrairement aux armées alliées, n’a été que très peu démobilisée après la capitulation allemande. La réponse politique de l’Ouest à la menace soviétique se traduit par le traité de Bruxelles de mars 1948 et par le traité de l’Atlantique nord signé à Washington en avril 1949.

En août 1949, les Soviétiques font exploser leur première bombe à fission, suivie quatre ans après d’une bombe à fusion. Mais cet armement nucléaire ne dispose pas de vecteurs capables d’atteindre directement le territoire américain. La stratégie américaine est celle des représailles massives, le deterrent . Elle repose sur l’existence d’un formidable dispositif aérien, le S.A.C. (Strategic Air Command), avec ses bombardiers B-36 puis B-47 et B-52, dont une partie est en permanence maintenue en alerte de vol.

De 1950 à 1960, la défense de l’Europe est assurée par un faible bouclier conventionnel, celui-ci étant toutefois rendu suffisant par l’existence de la puissante épée nucléaire des États-Unis, qui assura la M.A.D., ou stratégie des Massives Assured Destructions. Mais les Soviétiques progressent, et les Américains commencent à douter de l’invulnérabilité de leur sol.

La décennie de 1960 s’ouvre sur le sentiment américain d’un Missile-gap, et l’Amérique de Kennedy ne le supporte pas. On assiste alors à un développement considérable des forces nucléaires, qu’il s’agisse de fusées intercontinentales Minuteman, de missiles Polaris tirés de sous-marins mais aussi d’armes nucléaires tactiques qui sont déployées en grand nombre en Europe. Ainsi l’Occident dispose à nouveau d’une épée nucléaire redoutable, et celle-ci est complétée par un bouclier auquel l’A.N.T. confère désormais une grande efficacité.

Pendant ce temps, la Grande-Bretagne, qui a fait exploser sa première bombe atomique en 1952, s’équipe d’armes stratégiques avec l’aide des États-Unis, tandis que la France crée seule son propre armement nucléaire; elle réussit une première explosion en 1960 et maîtrise la fusion en 1968.

Les Soviétiques, eux, poursuivent inexorablement leur équipement sur tous les plans: forces conventionnelles, armement nucléaire tactique mais aussi fusées intercontinentales, notamment les S.S.-8 de 10 500 km de portée, déployées à partir de 1963.

Mais, après la course aux armements des années 1960, les deux superpuissances prennent conscience des risques d’un affrontement majeur entre elles. La stratégie américaine de la M.A.D. s’efface en 1974 devant une nouvelle stratégie plus restrictive, la Measured Deterrence, qui vise des objectifs significatifs, mais limités, tout en insistant sur les possibilités de riposte à une attaque massive par surprise. L’accent est mis sur la «sélectivité», la «flexibilité» et la «suffisance». L’idée émerge que des objectifs importants, comme l’Europe, doivent être défendus mais cela sans mettre automatiquement en jeu la vie des villes américaines en échange de la destruction des villes russes.

La décennie de 1970 est celle des premières conversations entre Soviétiques et Américains sur leurs arsenaux nucléaires. Ce sont les S.A.L.T., Strategic Arms Limitation Talks.

Les S.A.L.T.-1 aboutissent à deux textes. Le premier établit quelques limitations des armes offensives. Le second, plus novateur, prévoit de limiter à un seul site la protection antimissiles, le reste des deux territoires étant volontairement maintenu en état de vulnérabilité. Le traité de Moscou du 26 mai 1972 entérine cette limitation réciproque de la capacité de défense. Il est connu sous le nom de traité A.B.M. (Anti-Balistic-Missiles).

Les S.A.L.T.-2 plafonnent le nombre des missiles à longue portée. Mais la limitation ne prenant pas en compte les améliorations qualitatives, comme le nombre de têtes par lanceur, l’accord peut être tourné, et il le sera. Le traité, signé à Vienne le 15 juin 1979, ne sera pas ratifié par le Sénat américain, les Soviétiques ayant envahi l’Afghanistan.

Parallèlement à ces conversations bilatérales, des négociations multilatérales tentent en vain de diminuer le niveau des forces en présence en Europe, tandis que l’accord d’Helsinki du 1er août 1975 cherche à limiter les tensions «en accroissant la confiance». Du côté soviétique, la doctrine est encore celle de l’emploi de toutes les armes, fussent-elles atomiques.

L’O.T.A.N. affiche la doctrine de la «réponse flexible», c’est-à-dire adaptée à la menace. L’hypothèse de la montée aux extrêmes n’est pas totalement exclue, mais elle doit être retardée autant que possible, et un niveau de défense ne doit être décidé que si le stade inférieur s’avère être insuffisant. La doctrine de la réponse flexible devait donner une importance particulière aux armes de théâtre, et en particulier aux euromissiles. Au déploiement des S.S.-20 soviétiques l’Occident répond par le déploiement de Pershing-2 et d’avions sans pilote humain, les missiles de croisière Tomahawk.

C’est sur le débat de déploiement des euromissiles que s’ouvre la décennie de 1980. Malgré tous ses efforts, l’U.R.S.S. n’arrive pas à l’empêcher. Parallèlement, les États-Unis lancent le S.D.I., initiative de défense stratégique, qui propose un immense programme de recherche pour, à terme, restaurer l’invulnérabilité du ciel américain.

Un territoire américain risquant de devenir inviolable et des euromissiles menaçant l’U.R.S.S., les Soviétiques l’acceptent difficilement. En 1986, à Reykjavík, Gorbatchev propose à Reagan de retirer les S.S.-20 en échange du renoncement américain aux euromissiles de 1 000 à 5 000 km de portée et... à l’I.D.S. Reagan refuse à cause de cette dernière clause. Peu après, Gorbatchev n’en fait plus un impératif immédiat et propose le retrait des missiles de 1 000 à 5 000 km option zéro et de ceux de 500 à 1 000 km option double zéro. Reagan accepte et, le 7 décembre 1987, signe le traité de Washington. C’est aussi la relance des conversations S.T.A.R.T. (Strategic Arms Reduction Talks), héritières des S.A.L.T., avec la perspective de réduction de moitié des arsenaux stratégiques, ce qui laisse encore une bonne marge de sécurité!

5. Les conditions de la dissuasion

Arme terrifiante, l’arme nucléaire, par sa démesure, a empêché jusqu’ici l’affrontement majeur en Europe. Elle peut être considérée en ce sens comme une arme de paix. Sa banalisation, que chacun prévoyait il y a vingt ans, n’a pas eu lieu. Certes, la précision a relayé la puissance, ce qui risque de rendre l’emploi plus facile, mais permet d’échapper à un «tout ou rien» peu dissuasif. Les deux superpuissances sont ainsi devenues ce que Raymond Aron appelait des «adversaires-partenaires». La France s’est dotée, quant à elle, d’un armement nucléaire quantitativement limité, mais d’une qualité telle qu’elle peut appliquer une stratégie du faible au fort menaçant un agresseur éventuel d’une sanction exorbitante par rapport à l’enjeu.

La dissuasion nucléaire n’a pas pour finalité de gagner la guerre mais de l’empêcher. Pour qu’il y ait dissuasion, deux conditions doivent être simultanément remplies: la possession d’un outil de qualité reconnu comme tel, ce qui suppose qu’il ne soit ni contournable ni neutralisable; l’aptitude à décider du responsable politique qui a le pouvoir de déclencher le feu nucléaire. En démocratie, où le pouvoir vient du peuple, cette seconde condition sera d’autant mieux remplie qu’il existera une véritable volonté de défense.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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